Texte/Presse
Texte d'Elisabeth Couturier, paru dans le magazine Connaissance des Arts de juin 2023
Manon Pellan
Fragments intimes
Cette surdouée pratique le dessin comme une discipline philosophique.
Fidèle à la figuration, elle distord la réalité pour mieux nous toucher
« Je dessine depuis l’enfance. Et j’y consacre entre dix et douze heures par jour », explique d’emblée Manon Pellan en montrant quelques planches récentes. À l’évidence, cette jeune artiste possède un don. Ses compositions décalées, essentiellement en noir et blanc, réalisées au crayon graphite, mettent en scène des fragments de corps vêtus et un jeu de formes complexes qui révèlent une maîtrise hors pair du médium et une capacité à en renouveler l’expression.
Cinq ans d’études aux Beaux-Arts de Rouen, dont elle est sortie diplômée à 23 ans, n’ont rien changé à cette passion précoce. Simplement, elle en profite pour enrichir son approche et parfaire sa technique. En se familiarisant alors avec la céramique, elle affirme son goût pour le modelé, d’autant qu’elle découvre aussi, comme appui, les possibilités de l’autoportrait photographique. Elle évoque à ce propos sa découverte de l’œuvre de Francesca Woodman. Un bouleversement. Comme chez la défunte photographe américaine, chez Manon Pellan, le jeu de miroir sous-tend un intense questionnement métaphysique.
Ses deux dernières séries, Ghost et Étreintes, s’intéressent à notre rapport à la mort
(« Après le décès de ma mère en 2018, j’ai porté sa garde-robe au quotidien et c’est devenu un thème ») et notre soif d’amour, au travers d’images de couples s’enlaçant passionnément. « Dans mon processus créatif, ajoute-t-elle, je privilégie l’idée de fraction. Chaque dessin devient comme une petite abstraction. ». Elle se focalise ainsi sur une partie des figures qu’elle représente, imbrique étroitement attitudes et vêtements, et laisse le reste de la feuille immaculé. En réserve. Elle décentre le motif, une manière d’animer ses compositions, comme extraites d’une séquence de film. Cette passionnée de cinéma refuse de figer les choses.
Texte de Guy Boyer, issu du catalogue de l’exposition «Figurations. Un autre art d’aujourd’hui» organisée à la Maison Caillebotte par la ville de Yerres
« Lorsque je construis le dessin à la surface du papier, la seule possibilité de rendre visible le motif est le blanc, explique Manon Pellan, il intervient alors comme une percée de lumière symbolique.»
Dans ses natures mortes aux motifs inhabituels (assiettes cassées, cendriers pleins, poubelles remplies de détritus), le choix de la vue en plongée lui permet d'avoir un motif circulaire très dense, entouré d'une vaste zone vide. Dans sa série Ghost, en revanche, le blanc pénètre au cœur de l'humain, qui se révèle en creux. C'est la chemise aux plis cassés très contrastés qui dévoile le corps absent, hormis les mains prolongeant le vêtement. Puis, peu à peu, le corps réapparaît. Dans la série Étreintes, deux personnes se rejoignent sur la feuille de papier. Cependant ne figurent que leurs visages et leurs bustes. Elles semblent flotter, jusqu'à l'extrémité haute du papier qui, parfois, leur assure un cadrage photographique.
Rappelant les œuvre de Berthe Morisot et d’Egon Schiele, ces gestes d'amour hésitent entre force et douceur, entre empathie et passion. Le blanc renforce le mouvement et révèle la force du sentiment. Depuis peu, Manon Pellan s’essaie au diptyque, rapprochant deux points de vue d'une même réalité. Les corps et leurs enlacements semblent se prolonger d'une feuille à l'autre. Mais il n'en n'est rien. Il s'agit de deux facettes d'une même réalité, saisies à des distances différentes, mais toujours cernées de ce blanc révélateur.
Je remercie Valérie Duponchelle pour son texte «Figurations chez Caillebotte, bulle hors du temps», consacré à l'exposition «Figurations. Un autre art d'aujourd'hui» à la Maison Caillebotte.
Conversation conduite par Luci Garcia, avec Manon Pellan et Clarisse Moreno. L'exposition "Au bord du Ciel" a eu lieu à la Galerie Olivier Waltman du 02 au 30 Avril 2022.
Texte de Clarisse Moreno, à l'occasion de l'exposition personnelle "Au bord du ciel".
Manon Pellan fait le choix d’un dessin qui accorde une place prépondérante au contraste. Issus de son imaginaire autant que de son quotidien le plus immédiat, ses dessins flottent en surface de fond blanc, c’est dire à quel point la lumière est cruciale pour l’artiste. Dans l’évolution de sa pratique, la jeune femme a toujours été sensible aux contrastes et aux images -qu’elles soient cinématographiques ou vécues- dans une lumière aussi esthétique que conceptuelle. Pourquoi le blanc, pourquoi la lumière ?
« Je travaille avec la lumière du soleil dans ma recherche photographique de l’altérité. En amont, le blanc est déjà présent à cette étape du processus. Lorsque je construis le dessin sur la surface du papier, la seule possibilité de rendre visible le motif est le blanc qui intervient comme une percée de lumière symbolique. Percée, car le blanc révèle le dessin autant que le contraste. Il se déploie dans un mouvement vers l’extérieur et suggère ce qui fut incarné. Dans une même approche, l’ambivalence du blanc est qu’il rappelle la présence du motif, aussi bien qu’il révèle ses absences. Tel le soleil surexposant l’objet qu’il réchauffe dans un moment tendre où l’absence de l’autre se fait déjà sentir, le blanc devient dans toute sa violence, la seule issue pour révéler l’essentiel en créant un vide, pour remplir cet espace vacant et incarner pleinement l’absence. »
De ses différentes séries — « Ghost », « Etreintes » ou « Trash » — l’artiste puise ses idées dans sa vie personnelle. Les chemises de sa mère, la vaisselle de sa grand-mère ; autant de sujets tirés de souvenirs intimes a forte charge émotionnelle. Des objets désincarnés qui évoquent les différents sens et fonctionnent comme « une expérience du lien que je crée, non sans une certaine spiritualité, une sorte de cocon » affirme Manon Pellan. Ces objets sont véritablement attachés au vécu plus qu’aux vivants et dépassent la simple idée d’une projection mortifère. Le blanc, le vide, la lumière et les souvenirs constituent des moments de « tendresse, pudeur, sensualité, peur ou espoir ; selon les variations ».
Avec Drawing Now, DDessin est le temps fort de la modernité qui se tient en marge du Salon du dessin dans le bel espace du Molière du 20 au 22 mai.
Je vous invite avec plaisir à le lire, il est disponible en kiosque, et sur leur site.
Texte de Clément Sauvoy- Aluring
“Au moment où j’ai perdu ma mère, j’ai ressenti un besoin profond de me relier à ses vêtements et de les porter au quotidien. J’ai compris assez rapidement que le tissu qui lui appartenait serait pour moi une porte d’entrée vers le lien, que je cohabiterai avec la mort, dans cette recherche de l’autre au travers de son absence…” a-t-elle confié dernièrement. Et d’ajouter ensuite ceci : “Plus tard j’ai répété ce geste quand j’étais de nouveau confrontée au deuil. Le fait de ritualiser les objets du quotidien d’un autre et d’avoir sa mort comme compagnon de route dans le dessin était compatible avec ma recherche du lien humain, et dans un même mouvement, le fait de déposer quelque chose d’intime dans le dessin me permettait de questionner un autre hypothétique.” Avant de poursuivre ainsi : “Lorsque je dessine j’interroge le temps. La temporalité d’un dessin qui se construit en amont, et qui exige une observation précise du sujet, et ma présence volontaire dans le dessin conduit inévitablement à l’absence de mon corps. Cette absence, qui guide mon travail m’amène à composer un motif, avec l’espace du blanc et ses silences. La poésie est dans le blanc, sa présence, et l’ambivalence du motif qui se devine". Epousant une réflexion autour du corps et de son absence, de l’intimité, et de la perte, ses oeuvres dressent toutes la problématique essentielle de l’histoire de l’art ainsi que celle du drapé portant en son pli un pouvoir d’évocation exceptionnel. Elles sont portées par un caractère contemplatif laissant toujours une place essentielle au blanc du papier. En effet la démarche artistique de Manon Pellan interroge - notamment via ses deux sublimes séries baptisées “Ghost” et “Trash” - les absences du motif choisi et tente d’en révéler la poésie. Elle soulève le sujet de l’absence partielle du corps dans des gammes fonctionnant intimement avec la présence du blanc, d’un vide qui comble le vide dans le blanc qui dit constamment les absences du dessin. Le regardeur appréciera ces travaux au crayon graphite saisissants au sein desquels le choix de ce motif est relié à l’histoire personnelle de l’artiste qui croit, en réalité, que notre vision du tissu et plus généralement du vêtement, est très ambigüe parce qu’il occupe une place particulière pour chacun d’entre nous, entre cet objet triviale que l’on retire négligemment, le fétiche que l’on range précieusement, ou encore le chiffon que l’on jette sans aucune culpabilité. Le tissu parle, selon la plasticienne, de notre rapport au quotidien, à l’intime, et au corps. On aime tout particulièrement cette gestuelle révélant une forme de violence froide et d’émotion dans l’observation de la banalité des éléments qui composent notre espace. Il fait sens pour l’artiste qui interroge - au travers de la nature morte et de la vanité moderne - notre rapport contemporain aux objets, et notre manière de les ritualiser ou non. Mais aussi cette fragilité si juste et particulière qui nous rapproche peut-être d’une conscience de la pérennité de notre existence !